Texte écrit d’après la méthode Feedback créé par l’Ecole DasArts (Pays-Bas) pour formuler collectivement des retours exigeants et bienveillants aux artistes. Cette méthode a été mise en œuvre par la compagnie plusieurs fois depuis autour de ses spectacles.
Je crois qu’une œuvre d’art se situe quelque part entre les artistes qui formulent des signes et les spectateurices qui les interprètent et les recomposent.
Nous gens de théâtre consacrons beaucoup de temps à répéter ces signes qui font des spectacles. J’ai envie de consacrer également du temps à la réception d’un spectacle.
En 2018, au festival TransAmériques à Montréal, j’ai découvert des protocoles de retours critiques créés par l’école Das Arts au Pays-Bas. J’ai été marqué de voir comment cette méthode densifiait ma perception des spectacles, transformaient mes impressions, construisaient mon regard, et accompagnaient les artistes dans leurs créations.
Le temps du festival permet à un groupe de spectateurices de se retrouver, de construire collectivement des impressions et des retours critiques, de rencontrer les artistes et d’échanger avec elleux. C’est un temps privilégié pour vivre collectivement le théâtre.
J’ai envie de transmettre cette méthode à l’écrit ici et à l’oral durant les festivals qui cherchent comment créer des temps d’échanges avec les spectateurices.
QUOI
Des protocoles de discussions et d’échanges pour formuler des retours critiques sur un spectacle de manière non-violente.
Une méthode pour accompagner les artistes dans leurs créations en leur formulant avec bienveillance des retours exigeants.
Un temps privilégié consacré aux regards des spectateurices, leur donnant la parole et des outils pour formuler des retours plus construits que le « j’aime / j’aime pas » de la sortie de spectacle.
QUI
Des spectateurices non-professionnels qui ont vu le spectacle.
Des spectateurices professionnels, techniciennes et techniciens, journalistes, directeurices de théâtre, artistes…
Les artistes du spectacle.
Une médiatrice ou un médiateur pour animer les différents protocoles, contrôler le temps, s’assurer de la bienveillance et la non-violence des échanges, et si besoin pour garder une trace des échanges.
En tout, 15 à 25 personnes participant activement aux échanges et le/la ou les artistes du spectacle.
QUAND
Le lendemain du spectacle.
Prendre trente minutes à une heure par spectacle.
OÙ
Un lieu calme consacré à ce temps d’échanges.
Un espace où tout le monde peut se voir et s’entendre.
COMMENT
au minimum :
1. ventilation : par groupe de deux, les spectateurices échangent librement sur leurs ressentis à propos du spectacle sans la présence des artistes.
2. ça marche pour moi… : en présence des artistes, les spectateurices formulent tous les aspects qui marchent pour elleux. Même pour des spectacles que je n’ai pas aimé, je suis souvent surpris de lister toutes les choses qui fonctionnent pour moi malgré tout.
3. en tant que… j’ai besoin de… : en présence des artistes, les spectateurices expriment ce qu’elles et ils n’ont pas aimé en reprenant à chaque fois cette formule. « En tant que… » permet de positionner la critique pour qu’elle ne soit pas formulée dans l’absolu. « J’ai besoin de… » permet de ne pas considérer un spectacle comme achevé, de le voir en construction, et de formuler des pistes pour la suite.
Exemple : en tant que spectateur j’ai besoin qu’on m’adresse plus la parole / en tant qu’arbre j’ai besoin de m’enraciner dans le sol / en tant que musique j’ai besoin d’être moins forte / en tant que poney magique j’ai besoin de paillettes etc.
en option :
4. questions ouvertes : les spectateurices formulent des questions concernant la forme, le contenu ou tout ce qui leur vient à l’esprit. Les artistes ne répondent pas aux questions mais les écoutent comme des pistes pour la suite ou pour entendre des interprétations qu’iels n’avaient pas imaginer.
5. les post-it : les spectateurices écrivent sur des post-it deux aspects qui leur semblent être au centre du spectacle. Le médiateur ou la médiatrice collecte les post-it. Les artistes collent les post-it au sol ou sur un panneau et expliquent leurs choix artistiques en fonction de ce qui est écrit, ou iels commentent ce que les post-it font résonner en elleux.
6. la lettre : les spectateurices peuvent écrire une lettre aux artistes pour leur dire ce qu’iels ne voulaient pas partager en groupe, ce qu’iels veulent préciser, ce qu’iels ont oublié de dire ou pour encourager et féliciter les artistes.
Photo © María García Vera.
L'INSTANT DISSONANT 